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ACTEURS DES PUCES
VIRGINIE CHORRO
Marchande de curiosités et de textiles Dealer in curios and textiles
V irginie Chorro a grandi à Bordeaux, entourée
d’antiquités chinées par son père, marchand rue Bouffard. Elle a
ouvert sa boutique, L’Art d’aimer, en 2006, face au marché Jules Vallès, et vient d’installer un deuxième stand au marché Paul Bert. Un nouvel espace pour les mises en scène baroques dont elle a le secret.
Vous êtes connue pour vos sélections de textiles anciens. D’où vous vient cette passion ?
Depuis ma plus tendre enfance, mon père m’a fait partager son univers. Il me faisait choisir des tableaux, des objets et a formé mon goût. Son premier magasin, à Castillon-la-Bataille, était rempli
de marchandises de la Haute Époque
et du XVIIIe, et jouxtait notre maison.
Il suffisait d’en passer la porte pour être transporté dans un autre monde.
Le goût du tissu est arrivé très tôt, quand il a fait l’acquisition des costumes du Grand Théâtre de Bordeaux. Nous avions un rituel : tous les dimanches,
je me déguisais avec l’un de ces costumes, que je rangeais ensuite, tel un trésor,
dans mon coffre. Sur le palier, il y avait
ces deux fauteuils en bois [qui veillent désormais à l’entrée de la boutique NDLR] – des éléments d’église, je pense
– sur lesquels je trônais et me racontais des histoires. Enfant unique, c’est
avec deux autres fauteuils Louis XVI
et un cachemire tendu que je construisais ma cabane. Le textile a toujours été important dans ma vie, c’est une histoire de toucher, de vue, de sens. C’est ma madeleine de Proust. Je m’intéresse aussi aux objets singuliers : les petites pièces animalières, les bibelots des XVIIIe
et XIXe siècles. Je peux aussi bien craquer pour une belle verrerie 1925, pour
des volutes ou de la marqueterie
Art nouveau que pour des objets
des années 40. En revanche, je ne suis pas sensible à l’art contemporain, trop rectiligne et géométrique pour moi !
Comment avez-vous transformé votre passion en métier ?
Lorsque j’ai voulu arrêter l’école
à 18 ans, mon père a accepté à condition que je travaille. Le dimanche suivant, j’étais aux puces de Saint-Michel à 2 h du matin pour déballer, puis je l’ai suivi sur les foires de Béziers, Avignon, Montpellier... On m’appelait « la petite Chorro ». Pour me démarquer, j’ai commencé à acheter des imprimés, c’était mon dada, et puis Bordeaux
a une tradition de beaux textiles, notamment les indiennes de Beautiran.
Une amie qui avait une boutique
rue Paul-Bert, à Saint-Ouen, m’a un jour conseillé de montrer ma marchandise
à Paris. À l’époque, il y avait une demande très forte de textiles. Bon nombre d’éditeurs américains venaient pour acheter de simples morceaux de toile
de Jouy, des modèles qu’ils rééditaient ensuite. On vendait aussi des pièces historiques extraordinaires. En 2006,
j’ai repris le fonds de commerce
du 8, rue Jules-Vallès avec mon associé Romain. Je voulais me poser et créer
mon univers. J’ai ensuite rencontré Merry Liuzzo, avec qui j’ai acheté du textile,
et nous nous sommes associées
quelques années plus tard et avons
fondé la boutique Marcel et Jeannette.
there was a high demand for textiles. A large number of American producers came to buy simple pieces of toile de Jouy, models they
would reproduce. We also sold extraordinary historical pieces.
In 2006, I landed the business of 8, rue Jules-Vallès with my associate Romain. I wanted to settle down and create my own universe.
I then met Merry Liuzzo, with whom I bought fabrics, and then we later founded the Marcel
et Jeannette shop.
What appeals to you on a daily basis ?
There are as many ways to do
this as there are people doing it.
It is a job based on encounters. When I get up in the morning to go
to the markets, I am like a child
on a treasure hunt. I enjoy watching, talking to people who will teach me things, I love this hustle-and-bustle.
I prefer buying to selling. It is the desire for an object that drives me, the need to feel it in my hands.
Each object has a story and I like buying from people I appreciate, their personalities count. Just like this massive work table from
the XIXth century, grey and gold, found in a shop specialised
in engravings. At the end of the transaction, the knick-knack dealer thanked me for this purchase.
It is a real sharing experience,
where you put your soul in. Selling
is a necessity, that is true, but it is mostly a pretext to buy. Not selling prevents one from moving on,
it is only a drawback. With experience, knowledge sharpens. But there are no actual rates for these goods, it changes all the time.
I also enjoy collecting, rosaries for instance. The accumulation of similar objects makes for a beautiful set, where each gives the other another dimension. I can stage them, just
like the plays I improvised as child.
I grew up with this job and I am not sure I know more now than I did
in the beginning. All I know is that
it is deeply ingrained.
« C’EST UN MÉTIER DE RENCONTRES. J’AIME CHERCHER, REGARDER, DISCUTER... J’ADORE CETTE FRÉNÉSIE. »
«THIS JOB IS BASED ON ENCOUNTERS. I ENJOY WATCHING, TALKING TO PEOPLE WHO WILL TEACH ME THINGS,
I LOVE THIS HUSTLE-AND-BUSTLE.»
VIRGINIE CHORRO
Qu’est-ce qui vous séduit au quotidien ?
Il y a autant de façons de faire ce métier que de gens qui le font. Chacun a sa vérité. C’est un métier de rencontres. Quand je me lève le matin pour aller sur les marchés, je suis comme une gamine
à la recherche de la perle rare. J’aime regarder, discuter avec des gens qui vont m’apprendre des choses, j’adore cette frénésie. Je préfère acheter que vendre. C’est l’envie d’un objet qui me guide,
le besoin qu’il passe entre mes mains. Chaque objet a une histoire, et j’aime acheter à des gens que j’apprécie,
leur personnalité compte. Comme pour cette immense table de métier XIXe, grise et dorée, venue d’un commerce bordelais de gravures. À la fin de la transaction,
le marchand qui me l’a vendue m’a remerciée. C’est un vrai partage. On y met de son âme. Vendre est une nécessité, c’est vrai, mais c’est surtout un prétexte pour acheter. Mal vendre empêche d’avancer, c’est la seule contrainte.
Avec l’expérience, cela s’affine, mais il
n’y a pas de cote pour cette marchandise de charme, cela change tout le temps.
J’aime aussi collectionner, ces chapelets par exemple. L’accumulation d’objets identiques les magnifie
et leur donne une autre dimension.
Elle permet une mise en scène, comme dans le théâtre que je m’inventais enfant.
J’ai grandi avec ce métier et je ne suis pas certaine d’en savoir davantage
qu’au début. La seule chose que je sais, c’est qu’il est ancré au fond de moi.
V
a knick-knack dealer in the rue Bouffard. She opened her own shop, L’art d’aimer, in 2006, facing the Jules Vallès market, and just inaugurated
a second stall on the Paul Bert market. A new space where she can display her talent in baroque settings.
You are famous for your selections of ancient textiles. Where does that passion come from?
Ever since I was a child, my father has welcomed me into his universe. He let me choose paintings and objects, and shaped my taste. His first shop, next to our house in Castillon- la-Bataille, was filled with goods from the Middle-Ages to the XVIIIth century. Just pushing the door was enough to enter another world.
The taste for textiles came very early, when my father acquired costumes from the Grand Théâtre in Bordeaux. We had a ritual: on Sundays, he let me choose a costume and dress up. I would then put them away, like trophies, in my treasure chest. On the landing stood two wooden armchairs, [now guarding the shop’s entrance] –from a church, I believe– on which I would sit enthroned and tell myself stories.
irginie Chorro grew up in Bordeaux, surrounded
by antiquities hunted by her father,
As an only child, I would build a hut with two Louis XVI armchairs and
a cashmere wrap. Fabric has always been important in my life; it is a question of touch, of sight, of sense. It triggers off old memories.
I am also interested in objects: small animal pieces, trinkets from the XVIIIth and XIXth centuries. I can just as well melt for a nice 1925 glass piece, for Art nouveau curves, a wood marquetry, or for 1940s objects.
On the other hand, I am quite insensitive to contemporary art, too rectilinear and geometrical for me!
How did this passion become your work?
When I wanted to quit school
at age 18, my father agreed
on the condition I found a job.
The following Sunday, I was
at the Saint-Michel flea market
at 2 in the morning to unpack,
then I followed him on the fairs
of Béziers, Avignon, Montpellier... People called me «the tiny Chorro». To distinguish myself, I started buying printed cloth, it was
my favourite. And Bordeaux has
a tradition for beautiful textiles, notably printed cotton from Beautiran.
A friend of mine, who owned
a shop on Paul-Bert, in Saint-Ouen, once suggested that I show my merchandise in Paris. At the time,
Propos recueillis par : Élodie Fournier Photographie :
Pierre-Yves Perez-Queyroi


































































































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